LO : La partie problématique sur laquelle je me sens en mesure et presque en devoir d’exercer une lecture critique, c’est que le radicalisme de Vacchini l’a souvent conduit, pas toujours !, à produire une architecture élitaire. Elitaire parce que les interlocuteurs de Vacchini idéalement sont les architectures qui figurent dans son livret Capolavori. Et entre parenthèses, c’est un autre point commun avec Giorgio Grassi qui a toujours cité Henri Focillon qui parle de la famille spirituelle qui doit accompagner chaque artiste.. Mais au-delà de cette famille spirituelle que Vacchini a dévoilée dans ce petit livre, ses interlocuteurs étaient un cercle d’architectes assez limité. Je m’interroge sur la capacité de l’architecture de Vacchini à communiquer à différents niveaux son potentiel. C’est pour ça que je parle d’un risque élitaire qui ne correspondait peut-être pas aux volontés de Vacchini. Je ne l’ai pas connu assez pour le dire. C’est clair qu’il aimait beaucoup à garder son discours à un niveau très élevé. Très limpide et propre, peut-être trop ! Parce que je considère qu’un des problèmes de l’architecture contemporaine est quelque chose qu’on a déjà connu il y a déjà cent ans au début du XXème siècle, via les avant-gardes artistiques, dont les méthodes ont été telles que celles utilisées aussi par les avant-gardes architecturales – de produire une rupture entre l’intelligentsia artistico-architecturale et une appréciation… disons entre guillemets - populaire. Je ne veux pas apparaitre populiste… Mais par exemple on a le cas de Vienne La Rouge – 60000 logements réalisés dans l’espace de 12 ans, qui ont logés des milliers des familles ; les aspects négatives ont bien été critiqués par plein d’auteurs, parce que, c’est mon hypothèse, le langage adopté par les architectes viennois était volontairement et consciemment très ouvert à l’imaginaire iconographique populaire. Et ça ne convient absolument pas au statut intellectuel des avant-gardes. Eco !, je trouve que la recherche de Vacchini est tellement poussée dans la recherche des principes fondateurs de l’architecture, des fondements de l’architecture, chose que je partage à 100%, mais son propos est poussé tellement loin que, à la fin, le produit, je le répète, en certains cas, pas toujours, devient un objet incompréhensible. J’assume même le risque d’apparaitre populiste, mais pour moi ça c’est un problème.
Et là je te parle, juste des deux cas extrêmes pour te donner une image de mon propos : il y a d’un côté l’école de Ai Saleggi – tu sais déjà que je l’aime beaucoup ; mais qui a aussi un développement iconique et linguistique d’approche très facile – on y reconnait une petite ville avec une hiérarchie précise ; et la Poste de Locarno, de l’autre côté qui est un objet incompréhensible au plus.
Il faut aussi reconnaitre qu’à l’intérieur du parcours personnel de Vacchini, il y a une logique parfaite. Ce qui explique aussi l’intérêt que toi, et pas seulement toi, ont par rapport à Vacchini. Mais pour comprendre ce développement on doit se mettre à l’intérieur d’une espèce de boule, de tour d’ivoire, qui coupe les rapports avec les couches les plus bas de la société. Et moi, c’est là que j’aimerai trouver la manière de donner du sens à l’architecture.
Diplômé de la faculté d'architecture du polytechnique de Milan, Luca Ortelli a été assistant à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) avant devenir professeur ordinaire à l'école d'architecture de l'Université de Genève, puis professeur ordinaire de Projet et Théorie du projet à la section architecture de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Luca Ortelli a également été rédacteur de la revue d'architecture Lotus International et codirecteur de la collection des guides d'architecture Stella polare à Milan. Il est l'auteur de plusieurs articles parus dans des revues nationales et internationales et a participé à des nombreux concours nationaux et internationaux. Il a gagné le concours pour la construction du bâtiment des Archives Cantonales de Bellinzona, finalisé en 1999. (www.rts.ch)