JL : [..] A chaque fois quand je lis ces textes-là de Capolavori, j’ai l’impression que c’est Vacchini qui prend l’habit de Mies, qui prend l’habit de tel ou tel. Et qu’il se pose la question, si j’étais Mies jusqu’où j’aurais été capable d’aller ? C’est une attitude très architecte ! Je pense qu’il ne fait pas de différence entre sa conception de l’architecture et ce qu’il voit chez ces architectes.
SS : Peut-être que c’est une façon de gagner un peu de distance critique par rapport à lui-même – en se projetant dans les autres personnages.
JL : Bien sûr. Il est toujours dans une attitude réflexive par rapport à lui-même, et ça c’est important. Autocritique. C’est pour ça qu’il croyait qu’un projet était en progrès par rapport au précèdent. Parce qu’il critiquait son projet précédent, donc il allait faire mieux. Et je pense même que son regard sur l’architecture – au cours du temps il l’a changé. Il m’a surpris dans Capolavori : il n’y a pas un bâtiment de Kahn. S’il avait écrit Capolavori en 1990 il y aura eu un bâtiment de Kahn. La pensée de Vacchini, comme toute pensée, elle s’est modifiée, précisée, elle a quittée certaines choses pour aller en chercher d’autres. C’est normal. [..] Je reste convaincu que c’est un des rares architectes qui soit dans une idée de progression. Il y en a très, très peu comme ça. C’est-à -dire qu’il s’est vécu comme architecte comme un projet ; il est en progrès par celui d’avant. Il y en a très, très peu !
SS : Mies vient à l’esprit…
JL : Non, je parle des architectes contemporains. C’est rare aujourd’hui. Le seul peut-être qui est un peu comme ça, qui je trouve que ressemble beaucoup, c’est Olgiati. C’est le même esprit. Radical, qui vit sur des convictions comme Vacchini vivait sur des convictions. Pour lui, avec par exemple les bâtiments orientés et non-orientés – c’était comme des dogmes. Après, il avait toutes les justifications pour le dire. Et au fond, une fois qu’il avait établi son cadre-là , il faisait un projet, toc ! il faisait un autre, il était en progrès sur le précèdent. Et il s’est vécu je pense comme ça – au moins jusqu’à Losone. Apres, je ne sais pas. Apres il était malade, c’est compliqué après.
Né en 1947, Jacques Lucan est diplômé en architecture à Paris en 1972. Il est professeur de théorie de l'architecture à la faculté ENAC, EPFL et à l'Ecole d'architecture de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée. Directeur du Laboratoire de théorie et d'histoire (LTH1) de la faculté ENAC, EPFL, Jacques Lucan exerce également une activité d'architecte indépendant à Paris. (www.eyrolles.com)
Son travail sur l’Å“uvre de Livio Vacchini comprend notamment : "Livio Vacchini á Locarno" in "Trois architectes au Tessin", AMC 12, juin 1986 // "Le plaisir de la raison", in "Livio Vacchini – Projekte 1989-1991", catalogue de l’exposition d’architecture de l’Architekturmuseum de Bale, 1992 // "Livio Vacchini. The implacable necessity of the whole" in Livio Vacchini Architetto, ed. ADV Publishing House Lugano, 1994.